La Jurade de Saint-Emilion : une tradition tournée vers l’avenir

L’une des plus anciennes confréries viticoles du monde trouve sa raison d’être au cœur de plus de 2000 ans d’histoire entre les hommes et la vigne : la Jurade de Saint-Emilion

La renaissance d’une tradition historique

Les origines

La Jurade trouve son origine il y a plus de 800 ans, en 1199, lorsque l’Aquitaine était rattachée à la couronne d'Angleterre, suite au mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri II. En raison de sa place stratégique sur la route de Saint Jacques de Compostelle et de son économie viticole importante, Saint-Emilion, qui aspirait à obtenir une autonomie plus importante, obtient le statut particulier de Juridiction conféré par Jean sans Terre (fils d’Aliénor d’Aquitaine) lors de la signature de la Charte de Falaise. Cette dernière délègue alors des pouvoirs politiques, économiques et judiciaires, à des notables et des magistrats pour la gestion et l’administration générale de la cité.

 

Saint-Emilion obtient une liberté administrative et juridique dont l’administration est alors confiée aux jurats. En échange de ce nouveau statut, la juridiction a développé ses échanges avec l’Angleterre et notamment depuis le port de Libourne où le vin était envoyé par bateau jusqu’à Bordeaux puis par l’estuaire et le long de l’Atlantique vers le nord. 

 

Au fil des siècles, les délibérations et décisions prises par cette institution n’ont plus concerné qu’en majorité le vin et sa production. En effet, la Jurade devient dès lors la gardienne vigilante de la très haute qualité des vins de Saint-Émilion, en surveille de près la production et ce qui s'apparenterait à un cahier des charges avant l’heure et fixe même la date de récolte des raisins.

 

Le renouveau

Cette prestigieuse confrérie, dissoute sous la Révolution Française puis tombée dès lors dans l’oubli, a été dépoussiérée au milieu du 20ème siècle par le Syndicat Viticole et Agricole de Saint-Emilion. En effet, en 1948, ce dernier décide de replonger dans les livres d’histoire de la ville de Saint-Emilion et de faire renaître le 13 septembre la Jurade afin de donner un nouvel élan à la viticulture.

 

“Sigillum Com Si Emiliani” est l’inscription latine qui figure sur le sceau de la Jurade. Elle signifie « le sceau de la commune de Saint-Émilion ». Il est important de rappeler qu’au Moyen-Âge, le mot « commune » a un tout autre sens que celui d’aujourd’hui: il signifie que les bourgeois de Saint-Émilion peuvent prêter serment. Une longue histoire dont la robe rouge des Jurats et l’épitoge des intronisés témoignent.

 

Au cours de son histoire, la Jurade a aussi fait figure de symbole de solidarité dans l’adversité. Ainsi, en 1884, lors de la crise du phylloxera qui a provoqué des dégâts considérables dans les principales régions viticoles d’Europe, le 1er syndicat viticole français a été créé à Saint-Emilion afin de mutualiser les efforts et les recherches pour éradiquer cette catastrophe sanitaire.

 

Des ambassadeurs qui chantent la gloire de Saint-Emilion

La jurade rassemble aujourd’hui 140 jurats viticulteurs, négociants ou personnalités qui œuvrent pour la renommée de Saint-Emilion à travers le monde et qui perpétuent les valeurs de partage, de découverte, de transmission et de tradition. 

Au centre, Jean-Luc Sylvain en habit de Jurat lors d’une cérémonie organisée par la chancellerie de Singapour, accompagné de deux autres jurats et de Mme Alice LIM nouvelle intronisée.

©Jurade de Saint-Emilion

Il existe différents types de membres et de grades au sein même de la Jurade, tous gardiens de la tradition : on distingue les Protecteurs de la Jurade de Saint-Emilion, les Pairs de la Jurade de Saint-Emilion, le Grand Aumonier, l’Aumonier et le Prieur de la Jurade, la Dame de la Jurade, le Chancelier de la Jurade, les Prud’hommes et les Vignerons d’honneur.

 

Des chapitres qui rythment l’année de la Jurade

Des événements solennels tels que des réceptions et des intronisations, véritables rituels codifiés, ponctuent l’année de la Jurade. Ces temps forts annuels aussi appelés chapitres sont autant d’occasions de rassembler les 140 jurats autour de festivités et de moments de partage. Parmi ces rites traditionnels, on retrouve le ban des vendanges, le jugement du vin nouveau, l’apposition du sceau, la cérémonie solennelle d’intronisation des pairs, prud’hommes et vignerons d’honneur. 

 

La Fête de Printemps et le Ban des Vendanges sont les deux grands chapitres de l’année.

 

La Fête de Printemps

Elle a lieu chaque année le troisième dimanche de juin et célèbre la vie qui anime les vignes et transforme les fleurs en prometteuses grappes de raisin.

Processus de Jurats pendant la Fête de Printemps 2023

©Guillaume Bonnaud

 

Le Ban des Vendanges

Il est organisé le troisième dimanche de septembre avec une procession de la Jurade dans le village jusqu'à la Tour du Roy et la proclamation du Ban des Vendanges du haut de la tour.

 

Il puise son histoire et sa tradition dans le fait que, à l’origine, la date des vendanges était soumise à autorisation. Des experts étaient alors envoyés dans les différentes propriétés de la Cité et déterminaient si ces dernières pouvaient ou non lancer la récolte du raisin. La Jurade levait alors le ban des vendanges ; autrement dit, elle levait l’interdiction de vendanger.

 

Les Jurats au sommet de la Tour du Roy pendant le Ban des vendanges

© JB Nadeau

 

 

Chacun de ces rassemblements solennels est le théâtre d’intronisations de personnalités (Chefs d'Etat ou membres de famille régnante, hautes personnalités du monde politique, littéraire, artistique, ou encore personnalités exerçant une activité connexe à celle de la viticulture) dans des lieux chargés d’histoire comme les douves du Palais Cardinal (XIIème siècle) ou l’église monolithe creusée au début du XIIème siècle et voit alors défiler les jurats dans leurs ancestrales robes rouges.

 

Les futurs intronisés ou impétrants prononcent le serment « À Saint-Émilion toujours fidèle » et bénéficient de l’accompagnement de plusieurs parrains qui revêtent pour l’occasion leur habit de Jurat composé d’une robe rouge avec un rabat plissé blanc et un revers blanc au bas des manches, d’une sur cape et d’un camail blanc. A ce vêtement s’ajoutent une toque rouge et des gants blancs.

 

Ces intronisations scellent un lien indéfectible avec Saint-Emilion et sont accompagnées d’expositions d’art, d’animations autour des vins et du vignoble, de concerts, d’un dîner festif dans les douves du Palais Cardinal, d’illuminations au cœur de la Cité. Un grand moment de la vie de Saint-Emilion !

A ce jour et depuis 1948, plus de 3000 personnalités ont été intronisées dont Jean-Luc Sylvain lors de la Fête du Printemps en 2011.

 

Jean-Luc Sylvain en habit de Jurat aux côtés d’André Manoukian intronisé lors du Ban des Vendanges 2021.

Il existe également des temps forts extraordinaires selon les actualités, les anniversaires de propriétés ou de l’appellation à célébrer, qui viennent compléter ce calendrier de chapitres. 

 

Enfin, tout au long de l’année, des groupes de travail se réunissent régulièrement et échangent sur de nouvelles opportunités et sur les outils à développer pour entretenir et améliorer les relations entre professionnels et amateurs des vins de Saint-Émilion.

 

Les Chancelleries

La Jurade compte aujourd’hui une dizaine de chancelleries à Abidjan, York, Pékin, Oxford, Malte, Hong Kong, Kuala Lumpur et depuis novembre 2022 à Trondheim en Norvège. Elles sont chargées de faire la promotion des vins de Saint-Emilion dans le monde, d’entretenir les liens d’amitié avec les amateurs de vins de Saint-Émilion et les professionnels et d’assurer la transmission des valeurs de Saint-Émilion. 

 

Elles organisent tout au long de l’année des dégustations, des dîners, des rencontres et divers événements à l’attention des amateurs et des professionnels. Chaque année, les jurats rendent visite à l’une de ces chancelleries pour renforcer toujours plus le lien qui les unit. A cette occasion, un chapitre extraordinaire est organisé par la chancellerie visitée au cours duquel a lieu une nouvelle intronisation d’ambassadeurs. 

 

Chaque chancellerie est considérée comme une ambassade des vins de Saint-Emilion et chaque chancelier ou chancelière est Jurat à part entière, intronisé(e) par la Jurade. Ce réseau de chancelleries à travers le monde est destiné à être étendu à d’autres pays avec les années. 


La Jurade incarne les valeurs de solidarité et de convivialité propres aux Saint-Émilionnais, la grandeur et le rayonnement de leurs vins mais aussi les moments forts de la vigne et du vin. La Jurade est vouée à évoluer avec le temps, les périodes, à être incarnée par une nouvelle génération résolument tournée vers l’avenir et dont l’admission a été permise par des critères moins restrictifs qu’à ses débuts. C’est ainsi que de jeunes jurats marchent aujourd’hui dans le pas de leurs aînés, insufflant modernité et dynamisme.